Le CNRS, moteur de la transition des mobilités

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La transition du secteur des transports connaît une nette accélération depuis quelques années. Une transformation majeure dans laquelle la recherche publique et le CNRS jouent un rôle essentiel.

Si la voiture autonome fait régulièrement la une des journaux, elle ne représente pourtant qu’un aspect de la vaste révolution que connaît aujourd’hui le secteur de la mobilité. Citons aussi les évolutions du marché du transport ferroviaire ou encore les mobilités écoresponsables… La transition – déjà largement entamée – du secteur des transports connaît une nette accélération depuis quelques années. 

Une transformation majeure dans laquelle la recherche publique et le CNRS jouent un rôle essentiel. « Les laboratoires publics permettent de créer de la connaissance scientifique, qui peut ensuite être exploitée par les entreprises pour générer de la valeur économique », estime Dieumet Denis, responsable de l’agence de Clermont-Ferrand de la société SHERPA Engineering, spécialisée en ingénierie des systèmes embarqués, et lui-même ancien chercheur. « Pour une PME comme la nôtre, la collaboration avec des chercheurs revêt une importance stratégique dans notre démarche d’innovation. »

L’IA au service de la mobilité intelligente


L'intelligence artificielle devient un levier incontournable pour développer des véhicules autonomes plus sûrs et efficaces. En combinant des algorithmes avancés de reconnaissance d'images, de traitement de données en temps réel et d'apprentissage automatique, l'IA permet aux véhicules de comprendre et d'interpréter leur environnement de façon précise. Cela inclut la détection des obstacles, la reconnaissance des panneaux de signalisation, et l'anticipation des comportements des autres usagers de la route.

C’est dans cet esprit que SHERPA Engineering entretient un lien étroit avec l’Institut Pascal (CNRS / Université Clermont Auvergne) depuis 2016. Une proximité allant au-delà des travaux menés conjointement, puisque l’agence clermontoise de l’entreprise était hébergée au sein des locaux du laboratoire de recherche jusqu’en 2024. « Depuis le début, notre collaboration vise à développer de nouvelles compétences autour des systèmes d’aide à la conduite et des véhicules autonomes », indique Dieumet Denis. « Et nous avons souhaité pérenniser notre relation, via la création d’un laboratoire commun baptisé AI4MobLab. »1

Créé en septembre 2022 pour une durée de trois ans, AI4MobLab vise, dans le prolongement de la collaboration entre SHERPA Engineering et l’Institut Pascal, à utiliser des techniques d’intelligence artificielle pour développer des solutions de mobilité intelligente. En particulier, les deux partenaires travaillent sur des systèmes indispensables à un véhicule autonome : détection et interprétation de lignes de marquage, gestion du changement de voies, classification et suivi d’objets dans une scène routière, afin d’éviter les collisions…

Site PAVIN (Plateforme d'Auvergne pour les véhicules intelligents) de l'Institut Pascal où sont testées les solutions développées par AI4MobLab
© Cyril FRESILLON / Institut Pascal / CNRS Images

Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire à grande vitesse


Mais la mobilité ne se résume pas à la technologie. C'est aussi une question d'organisation des transports et de choix économiques. Le Laboratoire Aménagement Économie Transports (LAET, CNRS/Université Lumière Lyon 2/ENTPE) est en première ligne pour comprendre les enjeux de la mobilité des personnes et des biens, généralement en partenariat avec des acteurs industriels ou publics. 

Les travaux engagés portent sur divers sujets et prennent des formes spécifiques. Le LAET a ainsi contribué au programme Transforum de la Commission européenne, visant à promouvoir le développement du transport ferroviaire à grande vitesse en Europe. Côté français, le laboratoire a conduit une étude pour l’ARAFER (devenue ART, Autorité de régulation des transports) en 2018-2019 afin de déterminer les modèles économiques les plus pertinents pour les nouveaux opérateurs de transport ferroviaire de voyageurs à grande vitesse, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence. Une étude réalisée en partenariat avec Rail Concept, Transae et Deloitte, « Nous nous sommes notamment appuyés sur le retour d’expérience d’autres pays européens, comme l’Italie ou la Suède, tout en tenant compte des spécificités du marché français », se souvient Christian Desmaris, maître de conférences en sciences économiques à Sciences Po Lyon et chercheur au LAET. « Nous avons finalement présenté une variété de modèles économiques possibles selon les cas, comprenant, entre autres, les lignes à opérer, les types de services, des gammes de tarification… » Des résultats qui ont pu alimenter les différents guides et documents mis à disposition par l’ART(le lien est externe)

Le laboratoire, par l’intermédiaire de son directeur Pierre-Yves Péguy, a également mis en place une chaire industrielle CNRS avec le groupe TRANSDEV, un des leaders de la mobilité, visant notamment la mesure du partage modal entre voiture particulière, transports collectifs et deux roues mais aussi la mesure de performance des transports collectifs.

La mobilité participative


La mobilité doit aussi être repensée en tenant compte des comportements des usagers. Comprendre comment les individus choisissent leurs modes de transport, quels sont leurs freins et motivations, est essentiel pour concevoir des solutions efficaces et durables. Les habitudes de déplacement sont souvent influencées par des facteurs psychologiques, sociaux et culturels : la perception de la sécurité, le coût, la commodité, ou encore l’image associée à certains modes de transport. 

La start-up wever développe une plateforme permettant de mettre en œuvre et de piloter des projets de mobilité, en impliquant directement les usagers. Une vocation qui doit beaucoup au lien unissant l’entreprise et le Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion (GREDEG, CNRS/Université Côte d’Azur). « C’est ce laboratoire qui m’a inculqué l’ambition de valoriser des modèles économiques respectueux de l’environnement et de l’être humain », relate Thomas Côte, fondateur et CEO de wever. « Cet objectif m’a rapidement conduit à travailler avec Amel Attour, aujourd’hui directrice adjointe du GREDEG, qui a grandement contribué au développement de la dimension "recherche" de wever. »

L’entreprise s’adresse notamment aux organisations souhaitant faciliter les trajets quotidiens de leurs employés et encourager les pratiques écoresponsables, ainsi qu’aux collectivités désireuses d’améliorer l’offre de transports de leur territoire. « Nous proposons un accompagnement complet, depuis l’identification des besoins et des freins des usagers à la mise en œuvre opérationnelle d’un plan de mobilité et à l’analyse des résultats de cette démarche », précise Thomas Côte. « Nous fournissons également des recommandations adaptées à chaque usager, qui peut, par exemple, être incité à privilégier l’écomobilité à travers l’octroi de titres de transport ou de bons d’achat. »

© wever / Blacktwin

Récompenser la mobilité écoresponsable


Une philosophie de rétribution qui se retrouve également au sein du projet EcoMobiCoin. « Notre volonté était de prendre le contre-pied des pratiques les plus courantes : nous souhaitions récompenser les comportements vertueux, au lieu de pénaliser ceux qui ne le sont pas », présente Ariane Tichit, maîtresse de conférences en économie au sein du Centre d'Études et de Recherches sur le Développement International (CERDI, CNRS/Université Clermont Auvergne/IRD). La chercheuse mène ce projet de recherche pluridisciplinaire avec deux confrères de l’Université Clermont Auvergne : Pascal Lafourcade, spécialiste de la cryptographie distribuée, et Paul-Marie Grollemund, maître de conférences en statistiques.

Ensemble, ils ont développé une cryptomonnaie, EcoMobiCoin, prévue pour récompenser les usagers se déplaçant via des modes de mobilité douce. « Notre système s’appuie sur des preuves de comportement, par exemple sur la validation de titres de transport en commun », détaille Ariane Tichit. « Une fois son comportement écoresponsable vérifié par la communauté, l’utilisateur recevrait une certaine quantité d’EcoMobiCoin, qu’il pourrait ensuite dépenser auprès de partenaires de la solution acceptant cette nouvelle monnaie. » Une façon d’encourager les mobilités vertueuses, mais aussi de favoriser le tissu économique local, puisque la cryptomonnaie pourrait être utilisée tant pour acheter des titres de transport qu’auprès de commerces de proximité.

Toutes ces initiatives ne constituent qu’un échantillon de la multitude de projets conduits par les laboratoires de recherche autour des questions de mobilité. « Il y a encore tant à faire sur ces problématiques », constate Ariane Tichit. « Je pense que les pouvoirs publics devraient s’appuyer davantage encore sur les travaux des chercheurs, car il existe énormément d’études qui pourraient aider à repenser l’aménagement du territoire en faveur de transports plus écoresponsables. » Un avis partagé par Thomas Côte, qui estime que le CNRS, via les chercheurs des laboratoires sous sa tutelle, peut jouer un rôle de guide. « Il est temps d’aller plus loin, en France, en matière de politique de transport, si l’on souhaite véritablement changer les comportements », affirme-t-il. « Mais il faut faire preuve de pragmatisme, afin d’investir de façon juste et efficace. La prise de décision doit donc toujours se fonder sur la connaissance scientifique, créée par les chercheurs, pour évaluer la pertinence d’une action et s’assurer d’emprunter la bonne voie. » 


 

Notes

  1. Le laboratoire commun associait initialement l’entreprise Logiroad, spécialisée dans la gestion et l’entretien du patrimoine routier, qui s’est retirée par la suite.